"Tout ce qui a pu se dire contre la science ne saurait
faire oublier que la recherche scientifique reste, dans la dégradation
de tant d'ordres humains, l'un des rares domaines où l'homme se
contrôle, s'incline devant le raisonnable, est non bavard, non violent
et pur. Moments de la recherche certes constamment interrompus par les
banalités du quotidien, mais qui se renouent en durée propre.
Le lieu de la morale et de l'élévation ne se trouve-t-il
pas désormais au laboratoire ?".
Emmanuel
LEVINAS (1978).
Mais, sitôt que j'ai eu
acquis quelques notions générales touchant la physique, et que,
commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j'ai
remarqué jusques où elles peuvent conduire, et combien elles différent
des principes dont on s'est servi jusques à présent, j'ai cru que je ne
pouvais les tenir cachées, sans pécher grandement contre la loi qui
nous oblige à procurer autant qu'il est en nous, le bien général de
tous les hommes. Car elles m'ont fait voir qu'il est possible de
parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et qu'au
lieu de cette philosophie spéculative, qu'on enseigne dans les écoles,
on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et
les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux et de
tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que
nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions
employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et
ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la Nature. Ce qui
n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité
d'artifices, qui feraient qu'on jouirait, sans aucune peine, des fruits
de la terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent, mais
principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est
sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de
cette vie ;
René DESCARTES, Discours de la Méthode. VI partie (1637).
Les
pas
Tes
pas, enfants de mon silence,
Saintement, lentement placés,
Vers
le lit de ma vigilance
Procèdent muets et glacés.
Personne
pure, ombre divine,
Qu'ils sont doux, tes pas retenus !
Dieux
!... tous les dons que je devine
Viennent à moi sur ces pieds nus
!
Si,
de tes lèvres avancées,
Tu prépares pour l'apaiser,
à
l'habitant de mes pensées
La nourriture d'un baiser,
Ne
hâte pas cet acte tendre,
Douceur d'être et de n'être pas,
Car
j'ai vécu de vous attendre,
Et mon cœur n'était que vos pas.
Paul
VALÉRY, Charmes (1922).
Caminante no hay camino
Todo pasa y todo queda,
pero lo nuestro es pasar,
pasar haciendo caminos,
caminos sobre el mar.
Caminante, son tus huellas
el camino y nada más;
caminante, no hay camino,
se hace camino al andar.
Al andar se hace camino
y al volver la vista atrás
se ve la senda que nunca
se ha de volver a pisar.
Caminante no hay camino
sino estelas en la mar.
Caminante no hay camino,
se hace camino al andar.
Golpe a golpe, verso a verso ...
Antonio MACHADO, "Proverbios y cantares XXIX", Campos de Castilla (1912).
" ... je méditai quelque temps ... sur ce que l'humanité avait eu
de meilleur : son ingéniosité technologique.
Rien ne subsistait aujourd'hui de ces productions littéraires et
artistiques dont l'humanité avait été si fière ; les thèmes qui
leur avaient donné naissance avaient perdu toute pertinence, leur
pouvoir d'émotion s'était évaporé. Rien ne subsistait non plus de
ces systèmes philosophiques ou théologiques pour lesquels les hommes
s'étaient battus, étaient morts parfois, avaient tué plus souvent
encore ; tout cela n'éveillait plus chez un néo-humain le moindre
écho, nous n'y voyions plus que les divagations arbitraires
d'esprits limités, confus, incapables de produire le moindre concept
précis ou simplement utilisable. Les productions technologiques
de l'homme, par contre, pouvaient encore inspirer le respect : c'est
dans ce domaine que l'homme avait donné le meilleur de lui-même,
qu'il avait exprimé sa nature profonde, il y avait atteint
d'emblée une excellence opérationnelle à laquelle les néo-humains
n'avaient rien pu ajouter de significatif."
Michel HOUELLEBECQ, "La Possibilité d'une île", partie III (2005).
Le loup et le chien
Un Loup n'avait que les os et la peau,
Tant les chiens faisaient bonne garde.
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde.
L'attaquer, le mettre en quartiers,
Sire Loup l'eût fait volontiers ;
Mais il fallait livrer bataille,
Et le Mâtin était de taille
A se défendre hardiment.
Le Loup donc l'aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu'il admire.
"Il ne tiendra qu'à vous beau sire,
D'être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, haires, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi ? rien d'assuré : point de franche lippée :
Tout à la pointe de l'épée.
Suivez-moi : vous aurez un bien meilleur destin."
Le Loup reprit : "Que me faudra-t-il faire ?
- Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens
Portants bâtons, et mendiants ;
Flatter ceux du logis, à son Maître complaire :
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons :
Os de poulets, os de pigeons,
Sans parler de mainte caresse."
Le Loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé.
"Qu'est-ce là ? lui dit-il. - Rien. - Quoi ? rien ? - Peu de chose.
- Mais encor ? - Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
- Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? - Pas toujours ; mais qu'importe ?
- Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor."
Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor.
Jean de La Fontaine, Les Fables (1668).
La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le Boeuf
Une Grenouille vit un Boeuf
Qui lui sembla de belle taille.
Elle, qui n'était pas grosse en tout comme un oeuf,
Envieuse, s'étend, et s'enfle, et se travaille,
Pour égaler l'animal en grosseur,
Disant : "Regardez bien, ma soeur ;
Est-ce assez ? dites-moi ; n'y suis-je point encore ?
- Nenni. - M'y voici donc ? - Point du tout. - M'y voilà ?
- Vous n'en approchez point." La chétive pécore
S'enfla si bien qu'elle creva.
Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages :
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,
Tout petit prince a des ambassadeurs,
Tout marquis veut avoir des pages.
Jean de La Fontaine, Les Fables (1668).
«
Ah ! la science ne va pas assez vite … nous serions bientôt à la
vérité, qui peut-être nous entoure avec ses anges pleurant ! … »
L'Impossible, Une Saison en Enfer, Arthur RIMBAUD.
"Travailler sans souci de gloire ou de fortune,
À tel voyage, auquel on pense, dans la lune !"
Edmond ROSTAND, "Cyrano de Bergerac" Acte 2, Scène 8.
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